Davantage que le cliché éculé du « syndrome de la page blanche », ce sont plutôt la problématique du trop-plein d’idées et son corollaire tant redouté, l’éparpillement, qui tourmentent bien des artistes et créateur.ices. Le langage archétypique astrologique, à travers l’axe Gémeaux-Sagittaire, peut nous aider à mettre en récit cette tension inhérente à la vie créative.
Le signe des Gémeaux symbolise la recherche d’information pour elle-même, sans préoccupation quant aux fins concrètes auxquelles pourraient être subordonnées de telles explorations intellectuelles. Son opposé complémentaire qu’est le Sagittaire incarne à l’inverse le désir de rassembler les expériences diverses pour faire émerger les lignes communes qui les sous-tendent. Là où les Gémeaux représentent les idées, le Sagittaire symbolise la définition de concepts. Là où les Gémeaux portent leur regard analytique dans plusieurs directions simultanées, le Sagittaire se propulse de manière concentrée vers un objectif singulier.
Je crois que toute entreprise créative pourrait être assimilée à un cheminement sur cet axe Gémeaux-Sagittaire, ces deux archétypes portant chacun une médecine précieuse pour un temps précis.
En phase créative initiale, l’énergie Gémeaux nous invite à accepter que nous ne disposons que d’un contrôle limité sur le timing de notre créativité. Bien souvent, ce n’est pas tant qu’on « s’éparpille », plutôt que le fait que l’on nourrit plusieurs idées embryonnaires dont aucune n’est encore mûre pour passer à l’étape de l’exécution (voire, avant même cela, à l’étape de la conceptualisation, c’est-à-dire de la cristallisation en un projet cohérent).
En pareille situation, la souffrance vient en réalité de ce que, guidé.e par un sentiment d’urgence illusoire et un diktat de productivité immédiate, l’on cherche à précipiter un passage à l’action prématuré. Beaucoup de créateur.ices affligé.es par cette problématique considèrent ainsi que leur incapacité à exécuter traduirait un manque de respect envers leur art. Assis.es sur un sentiment de légitimité précaire, iels sont terrorisé.es à l’idée que leur improductivité viendrait révéler la grande imposture qu’iels ont commis en osant se revendiquer du titre d’artiste. Or, l’inverse est vrai : respecter son art, se montrer digne de l’identité d’artiste, c’est respecter la sagesse intrinsèque à ses propres processus. C’est accorder à ces derniers une confiance pleine et entière, peu important les scénarii alarmistes que se plaît à dérouler le mental.
Les Gémeaux sont un signe d’air, et en cela, ils nous enseignent l’importance de cette phase créative où le mental papillonne et emmagasine tout azimut des idées, des sensations, des images et des impressions, sans se laisser alourdir par la question ô-combien-monotone de « ce que ça va donner ». Il faut dire que le feu du Sagittaire, symbolique de la phase suivante à savoir celle de l’exécution, ne pourra correctement se consumer que s’il est nourri en abondance par l’oxygène récolté durant cette phase initiale…
Ainsi, lorsque le moment est mûr, l’on s’aperçoit que les idées collectées, jusque-là éparpillées, commencent naturellement à se cristalliser pour former des agrégats. Parfois, plusieurs agrégats que l’on pensait distincts s’unissent en un seul et même projet, parce que cela reflète mieux la totalité de qui l’on est et de ce que l’on souhaite exprimer à l’instant où l’on est en train de créer. C’est là qu’intervient la sagesse de l’énergie du Sagittaire, dont le glyphe en forme de flèche nous montre littéralement que la création est une affaire d’énergie pure à concentrer et à propulser sur une longue distance/durée. Là où se révèle la magie, c’est que bien souvent, plus l’on a laissé à la phase précédente l’espace organique de s’étaler sans direction, plus la phase d’exécution s’avère focalisée et fulgurante.
Mais cette seconde phase n’est pas pour autant dénuée d’inconfort. Car l’accouchement créatif demande de s’engager dans un tunnel sombre et solitaire, sans balises extérieures de direction ou de validation, avec pour seule lanterne la lumière que l’on produit soi-même – pour rappel, le feu du Sagittaire est non seulement symbolique du désir, mais aussi de vision et de foi.
L’adage dit que choisir c’est renoncer ; effectivement, l’accouchement d’un projet créatif exige de renoncer à tant de choses : à toutes les distractions qui appellent notre attention ; à nos projets créatifs concurrents (renonciation temporaire) ; aux autres versions de ce qu’aurait pu être ce projet en question (renonciation définitive).
À cette étape, l’erreur commune consiste à interpréter la lourdeur et la solitude que l’on ressent comme indicatives d’une fausse route. C’est bien souvent une illusion et, en amour comme en créativité (en astrologie, les deux relèvent d’ailleurs du même champ d’expérience, symbolisé par la maison 5), on finit par se rendre compte que le fait de changer compulsivement d’amant.e/de projet ne nous permet jamais d’échapper bien longtemps aux conflits qu’engendre nécessairement toute relation d’intimité.
Ainsi, dans une phase comme dans l’autre, la leçon pourrait être résumée en deux mots : embrasser l’inconfort. La qualité la plus cruciale à développer étant sans doute le discernement qui permet de sentir intuitivement lorsqu’il est temps de passer d’une phase à l’autre ; un discernement que l’on ne forge…qu’en le pratiquant.