Message aux anticolonialistes qui hésitent à participer aux élections législatives
Le "gospel of love" de James Baldwin comme boussole politique.
L’Occident est un navire qui sombre, et ce n’est pas (plus) à nous de le sauver. La violence du monstre s’intensifie toujours avant de céder, d’après la formule gramscienne consacrée. Pourtant, malgré nos réticences, je crois qu’il faut aller voter à ces élections. Contrer l’extrême-droite, et donner de l’impulsion au Nouveau Front Populaire.
Depuis quatre ans maintenant, je m'efforce d'aligner ma praxis politique et mes choix de vie avec mon positionnement décolonial - ce qui s'est traduit par mon départ physique de Paris et ma réinstallation en Martinique où je me suis attachée à "cultiver l'appartenance" pour reprendre la magnifique formule de bell hooks. Cela s'est aussi et surtout exprimé sur le plan intime et symbolique, par un processus profond de désinvestissement vis-à-vis du paradigme de la modernité occidentale et de ses institutions.
Une part de moi a conscience du fait que la résurgence de l'extrême-droite en France n'est que la manifestation inéluctable d'un atavisme fasciste et colonial qui ne fut jamais vraiment exorcisé après la 2nde Guerre Mondiale (le fameux mythe du "tous résistants" dont parle très bien l'historien Robert Paxton), et qui n'a été jusqu'ici contenu que grâce aux digues fragiles de la prospérité économique. D'une certaine façon, je crois que cette "tombée des masques" s'inscrit dans le sens de l'histoire, aussi douloureux soit-il. Le gén0ci de en cours en a lui aussi joué ce rôle de catalyseur en mettant crûment en lumière l'imposture morale d'un modèle occidental en fin de course, et la nécessité de refonder notre cadre philosophique. Oui, une part de moi ne peut s'empêcher de voir dans l'effondrement annoncé, l'opportunité d'un sursaut chez les post colonisé.es, qui les amènera peut-être enfin à réorienter leurs énergies vers la construction de futurs d'émancipation pour le Sud Global.
Mais... je sais aussi que cette transition se fera dans une souffrance inouïe pour les plus vulnérables, à commencer par les personnes racisées qui vivent en Europe et qui n'ont pas la possibilité matérielle ou l'envie de la quitter (pour des raisons d'attaches familiales ou affectives). La réalité pratique de nos existences de postcolonisé.es est complexe, tissée de nuances, de contradictions tellement humaines, et d'inévitables compromis.
Je pense aux femmes, aux personnes queer, aux pauvres.
Lorsqu’il est question de danger immédiat pesant sur la vie de millions d’individus, je ne crois pas qu’on puisse se réfugier derrière des formules toutes faites du genre « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » (et ce, malgré tout l’amour de fangirl que je porte depuis longtemps à la figure de Robespierre, auquel cette phrase est attribuée). Je me refuse à considérer des vies humaines comme de simples victimes collatérales, un sacrifice nécessaire à une cause ultime.
On ne sacrifie pas des gens sur l’autel des idées. Mon étoile du nord politique, plus que tout grand principe ou posture idéologique, est l’amour révolutionnaire. Le gospel of love qu’a toute sa vie prophétisé James Baldwin. C’est un amour radical qui ne se confond pas avec la sensiblerie. Il s’adresse à toute l’humanité ; aux opprimés comme aux oppresseurs.
Je crois qu’il est important de cultiver la non-dualité dans nos combats politiques, et la capacité à tenir ensemble plusieurs vérités en apparence irréconciliables. À chaque instant, tenir le flambeau de notre plus haute vision et composer avec le réel.
La décision d’aller voter contre le Front National ne devrait rien à voir à faire avec le fait de « se sentir français.e » ou non. Outre le fait que la gouvernance d’une puissance coloniale comme la France a un impact global évident, il s’agit pour moi d’un vote humaniste : au même titre que je me soucie du peuple qui souffre en Palestine et au Congo, je me soucie du peuple qui souffre en France, et j’agis là où cela m’est possible. Ne nous laissons pas enfermer dans des considérations de frontières nationalistes – c’est précisément l’un des plus vils produits de ce modèle civilisationnel colonial que nous rejetons.
Quoiqu’il advienne après ces élections, nous ferons face. Avec la conscience tranquille de savoir qu’à chaque étape, nous avons fait usage de tous les moyens disponibles pour protéger le maximum de personnes de la souffrance la plus immédiate.
👌