Ces temps-ci, je redécouvre Rûmi dans le texte, après avoir épluché pour la 72ème fois "Soufi mon Amour" (le merveilleux roman d’Elif Shafak). Peut-être plus encore que sa poésie, la vie de Rûmi me fascine. Un "savant", juriste et théologien, qui consacra la première partie de son existence aux poursuites intellectuelles, avant d'être transfiguré par l'expérience de l'amour mystique.
Dès lors, il n'écrivît plus que de la poésie - des textes courts et symboliques, aux antipodes des longues dissertations auxquelles il s'était jusque-là adonné. Pourtant, chacun de ses mots revêt une précision et une densité bien supérieures à tous les bavardages théoriques - ceux-là mêmes dont notre société du savoir-spectacle et des "hot takes" est si friande.
Le silence et le vide, omniprésents dans les poèmes de Rûmi, sont aussi au coeur de nombreuses traditions mystiques, où ils ne sont que l'autre nom de Dieu.
Je me reconnais un peu dans cette évolution confusionnante qui fut celle de Rûmi. Elle m'a amenée à quitter le monde académique il y a quelques années. Le climax en a été en ce début d'année, lorsque mon cerveau s'est comme débranché pendant trois mois.
Je crois que toutes les personnes qui aiment les mots et les concepts arrivent un jour ou l'autre à un point de dégoût vis-à-vis de ceux-ci. Après tout, notre mission perdue d'avance consiste à capturer la réalité avec nos mots, tout en sachant que le verbe, figeant une réalité faite d'impermanence, la trahit nécessairement…
Je ne commence que depuis peu à digérer ce dégoût... parce que je lâche prise sur les mots. J'accepte qu'ils soient limités et dérisoires. Et c'est ok, car ce qui compte, ce qui touche, je m'en rends compte, c'est finalement moins la perfection du texte que l'énergie dont il est véhicule - et cela n'est ni explicable, ni rationnel, ni quantifiable, ni maîtrisable.
C'est la sagesse qui reconnaît la sagesse ; c'est la beauté qui reconnaît la beauté. Ce que la lectrice trouve dans une oeuvre existait déjà en elle. La bonne écrivaine, la grande penseuse, l'artiste puissante, est justement celle qui parvient à "se" mettre suffisamment sur le côté, pour que ne reste plus que l'énergie pure, circulant à travers sa main ou son verbe, depuis le Cosmos jusqu'au coeur et à l'esprit...
J'avais prévu de parler du juste équilibre entre inspiration intuitive et exécution intellectuelle qui soutient l’acte créatif, ou encore des différents mythes des “muses” à travers les civilisations, etc. etc, au moyen - bien sûr - de tout un tas de citations et de métaphores… Mais préférant pratiquer ce que je prêche, une fois n'est pas coutume (hahahah), ce texte sera (relativement) court. Et ayant foi dans le fait que votre esprit et votre coeur en auront perçu l'essentiel, c'est ici que je pose le point final.
Merci 🙏